Épisode 6 : Vert Venin

La lumière du matin filtre à travers les vitres sales de la Gare Matabiau, projetant des ombres grises sur le sol. Jonathan, nerveux, jette des coups d’œil frénétiques autour de lui, les cernes sous ses yeux trahissant les nuits sans sommeil. À ses côtés, Marius, au visage grave, tente de le rassurer en posant une main sur son épaule.

— Ne t'inquiète pas, on va te sortir de là, murmure Marius, sa voix douce mais ferme contrastant avec l’agitation intérieure qui le ronge.

Jonathan hoche la tête, mais son esprit s'évade malgré lui, ramenant en mémoire les événements de la veille. Il se revoit, suivant Nora à travers les résidences étudiantes à quelques mètres du Pont des Catalans.. Après avoir échappé de justesse à l’homme au blouson de cuir ils avaient marché silencieusement. Nora les avait conduits jusqu'à une petite porte discrète, au fond d’une impasse. À l'intérieur, un studio impersonnel et froid les attendait. — Vous pouvez rester ici pour la nuit avait elle en déposant la lampe sur une table bancale. Demain matin, je vous emmènerai à la Gare Matabiau. Vous devrez quitter Toulouse le plus rapidement possible Jonathan.

— Pourquoi la gare ? Pourquoi ne pas rester cachés ici ? Avait demandé Naïla, la voix tremblante.

Nora les avait fixés un moment, avant de répondre d'une voix froide :

— Parce que l'homme que vous avez vu n'est qu'un pion. D'autres sont sur votre piste, et ils savent que vous êtes encore en ville. La gare est votre seule chance de semer vos poursuivants et de rejoindre un endroit où vous serez vraiment en sécurité.

Un bruit soudain ramène Jonathan à la réalité. Il cligne des yeux, chassant le souvenir, et serre les dents. Il sait que le temps presse.

À ses côtés, Marius, toujours vigilant, le sent se raidir.

— Tout ira bien, on va s’en sortir, répète -t-il, essayant de calmer l’angoisse de son ami.

Mais Jonathan n'est pas sûr. La gare, autrefois un lieu anonyme, semble maintenant être un piège. Il sent chaque regard sur eux, chaque mouvement dans la foule, comme une menace. Il doit partir, et vite.

Emy, l’avocate, approche rapidement, le téléphone à la main.

— Le train pour Lyon part dans dix minutes, il faut y aller maintenant, dit-elle en jetant un regard anxieux vers l'entrée de la gare.

Jonathan inspire profondément. Il sait que cette décision pourrait être celle qui déterminera son avenir. Mais il n’a pas d’autre choix.

La gare, habituellement un lieu de transit anonyme, semble soudain devenue une scène d’affrontement potentiel. Chaque visage dans la foule est suspect, chaque regard posé sur eux peut appartenir à un ennemi.

— Il est hors de question qu’on prenne le risque de le laisser ici une minute de plus, insiste Emy, sa voix trahissant son urgence.

Mais à cet instant précis, le bruit sourd de bottes frappant le sol en marbre les fige. Ils apercoivent trois hommes qui fouillent du regard les personnes présentes.

Marius, d’un geste rapide, incite tout le monde à avancer.

— Pas de panique, gardez le rythme, murmure-t-il.

Dans une tentative désespérée de passer inaperçus, ils se frayent un chemin parmi les voyageurs, tentant de se fondre dans la masse. Pourtant, l’instinct de Jonathan le trahit. Il sent une présence, un regard glacial qui ne le quitte pas. Il se retourne brusquement et son cœur manque un battement : l’homme au blouson de cuir est là, debout, à une trentaine de mètres, un sourire carnassier sur les lèvres.

Leurs regards se croisent l’espace d’une fraction de seconde, mais cela suffit à Jonathan pour comprendre : ils sont traqués.

— Il nous a trouvés ! s’exclame-t-il, la voix tremblante.

Sans attendre, Marius attrape Jonathan par le bras et l’entraîne vers les quais du metro.

— On laisse tomber le train de Lyon ! On ressort du côté de la Médiathèque Cabanis et on file vers Léo Lagrange. J ai un pote qui vit là. Il pourra nous acceuillir  Courez! hurle-t-il à Emy et aux autres, tandis que le chaos éclate autour d’eux.

La foule, d’abord indifférente, réagit à leur précipitation. Des cris fusent, mêlés aux annonces monotones diffusées par les haut-parleurs de la gare. Emy, le regard acéré, balaye la zone pour trouver une échappatoire, mais l’homme au blouson de cuir n’est pas seul. Deux complices surgissent de l’ombre . Leurs regards sont aussi froids et déterminés que celui de leur leader.

Les rues de Toulouse, baignées de lumière matinale, deviennent le théâtre d'une course-poursuite acharnée. Jonathan, à bout de souffle, suit Marius de près, tandis qu'Emy et les autres peinent à rester groupés. Le claquement des talons d’Emy résonne comme un coup de fouet dans l’air frais.

— Par ici ! s’écrie Emy en apercevant une ruelle étroite à leur gauche.

Ils bifurquent brusquement, espérant semer leurs poursuivants, mais la voix de l’homme au blouson de cuir, basse et menaçante, résonne derrière eux.

— Vous ne pourrez pas fuir éternellement !

Jonathan sent son cœur battre si fort qu’il résonne dans ses tempes. Marius, à ses côtés, ressent la peur de son ami monter, mais garde la tête froide, bien déterminé à atteindre l’appartement de son ami.

—On aura pas le temps d’arriver à Léo Lagrange, ils sont trop près de nous ! Halète Jonathan en se concentrant sur sa respiration.

Soudain, une vieille porte en bois, à moitié cachée par des bennes à ordures, attire l’ attention de Marius . Il tire Jonathan vers elle, poussant la porte avec force. Elle cède dans un grincement sinistre, révélant une volée d’escaliers menant à un sous-sol.

Sans hésiter, ils s’y engouffrent, espérant que l’obscurité sera leur alliée. Le reste du groupe les suit de près, refermant la porte derrière eux juste à temps pour entendre les pas lourds de leurs poursuivants résonner dans la ruelle. La pénombre les enveloppe. Ils retiennent leur souffle, écoutant les bruits au-dessus d’eux.

- On est où ? Demande Emy en allumant la lampe de son portable.On dirait un tunnel ! Ca alors c’est incroyable !

-Tu sais, à l’origine, pendant les travaux de la ligne A, il y avait un tracé qui envisageait une voie partant de la la gare et qui devait déboucher vers la place Jeanne d’Arc, déclare Jonathan. Mon père a bossé sur l’élaboration de la ligne . Il parlait toujours du nœud de Marengo et de ses voies. Elle devait ensuite remonter sur Jean Jaures et Capitole. Mais voilà, le projet a été annulé en cours de route parce qu'ils ont découvert que le coût allait etre trop élevé à cause du passage sous le canal du Midi. Les travaux ont été stoppés net, mais le tunnel, lui, il est toujours là, sous nos pieds, et il doit bien mener quelque part, non ?

Une voix grave se fit entendre au loin.

— Ils sont là-dedans !

Marius sent la panique monter en lui, mais il tente de rester calme pour Jonathan, qui tremble de tous ses membres. Il faut à tout prix éviter une confrontation directe. Leurs options sont limitées et le temps joue contre eux.

Antho, qui surveille l’arrière du tunnel capte son regard et hoche la tête .

On a pas le choix , il faut filer par là ! Indique t-il en désignant la direction opposée à la voix.

Ils s’enfoncent dans le boyau, leurs lampes de smartphone perçant l’obscurité angoissante. Les murs, couverts de moisissures, semblent se refermer autour d’eux. L’odeur de renfermé et l’humidité ambiante n’aident en rien à calmer leurs nerfs déjà à vif.

Soudain, Marius s’arrête net, attiré par un objet incongru à peine dissimulé sur le rebord de la voie.. Il s’accroupit, le cœur battant, et dégage lentement ce qui semble être un vieux carnet de cuir. Les pages jaunies et les écritures à moitié effacées dégagent un parfum d’histoire oubliée.

— Qu’est-ce que c’est ? chuchote Jonathan, curieux malgré lui.

Marius feuillette le carnet, ses yeux s’écarquillant à mesure qu’il découvre des notes griffonnées à la hâte.

— Ca alors ! Ton nom est mentionné dedans ! Dit-il en en regardant Jonathan

- Quoi ? C’est impossible ! Le jeune homme prend le carnet entre ses mains, et balayant la torche de son smartphone sur les pages jaunies , il se met à trembler en murmurant :

- C’est...C’est l’excriture de mon père ! Qu’est ce que ca veut dire ? Que fait son carnet ici ?

- On doit le prendre, décide Marius, refermant le carnet d’un geste précipité.

Mais avant qu’ils ne puissent faire un pas de plus, un bruit métallique se fait entendre. Leurs battements de cœur s'accélèrent. Ils éteignent tous les torches de leurs télephones mais des lueurs apparaissent face à eux à quelques mètres.

— On est coincés, murmure Naïla, la voix tremblante.

Les mains de Marius se crispent autour du carnet. L’étau se resserre, et il n’y a nulle part où fuir.

Le silence pesant est brisé seulement par le bruit de leurs respirations haletantes. Une silhouette au loin avance dans leur direction, implacable, son ombre se projetant sur les murs humides.



À suivre…